"Ne lâche pas la mort !"
La mort m’effleure chaque jour. Un flash, un frisson, un vertige. Puis je me ressaisis. Mais c'est un fait : elle est ma compagne de vie.
Je rêve aussi d'elle la nuit. Est-ce que ça m’aide à exister ? C’est ça la vraie question. Est-ce que ça me fait vivre avec plus d'acuité, plus d'intensité ? Ou bien est-ce qu’elle me fige, m’ankylose dans un monde qui continuera à tourner sans moi ?
Après la mort de ma mère, à six ans, j’ai cru que la vie serait une suite ininterrompue de disparitions brutales, une avalanche de morts qui m’écraserait jusqu’à la mienne. Je me tenais prête. Et presque trente ans plus tard, la plupart de mes proches sont encore là, sauf les plus anciens. Alors quoi, la mort ne frappe pas si souvent, pas si violemment ? Elle aurait des scrupules, un code de conduite ? Bien sûr que non. D’ailleurs, mieux vaut arrêter de la personnifier, ça lui donne trop de pouvoir - déjà qu’elle est toute-puissante.
Si j’écris, c’est aussi pour ça : quelle place lui laisser ? L’enfouir sous le tapis comme une ombre honteuse ? La transformer en directrice de conscience, en moteur existentiel ? Ou la laisser flotter, scintillante et vénéneuse, comme une méduse…
Et ma propre mort, me terrifie-t-elle ? Parfois, elle m’apparaît comme l’ultime délivrance, l’échappatoire douce du merveilleux fardeau qu’est la vie. Un retour au foyer, sans heurt. D’autres fois, elle est lame tranchante, trou noir, somme de toutes mes angoisses.
Mais quand je pense à celles et ceux qui sont passés par là — ces proches que j’ai aimés, ces figures que j’admire — je me dis : s’ils ont su mourir, pourquoi pas moi ? Ma mère, Cassavetes, Van Gogh, Marilyn, Marc-Aurèle… Tous ont franchi le Rubicon sans sourciller. Alors sans doute que, le moment venu, je saurai moi aussi laisser partir tout ce que j’ai été. Ou cru avoir été.
"Dire que tant et tant ont réussi à mourir !" Cioran l’a dit. C'est un peu l'épreuve du feu que tout le monde passe haut la main, le bac avec mention très bien attribué sans exception de genre, de classe, de QI. La seule chose qui met tout le monde sur un pied d'égalité. En cela, c'est bien l'unique force démocratique de cette petite planète (dommage qu'elle ne fasse pas de politique).
Un jour, au Baron Rouge, à Paris, un inconnu avec qui je bavardais sans queue ni tête m’a soudain attrapée par le bras. 'Ne lâche pas la mort !' Il m’a relâchée. Son regard de méduse m’a figée.
_______
Brave Bête, c’est aussi un terrain d’écriture. À chaque texte, une porte s’ouvre : un atelier, une question, une invitation à écrire. Ici, les lecteurs sont aussi des auteurs.
Atelier d’écriture : écrire avec la mort
On l’évite, on la frôle, on la convoque. Parfois, elle nous regarde à distance, parfois, elle souffle sur notre nuque. Je vous invite à lui laisser une place, le temps d’un texte. L’évoquer. L’interroger. La défier.
Quelques pistes, si vous avez besoin d’un point d’ancrage :
Vous souvenez-vous du jour où la mort vous a frôlé ? Où, soudain, elle a cessé d’être une abstraction ?
Comment la conscience de votre fin influence-t-elle vos choix ? Vous précipite-t-elle vers l’urgence de vivre, ou bien vous paralyse-t-elle ?
Si vous deviez lui adresser une lettre, que lui diriez-vous ? Une prière, une déclaration d’amour, un pacte ?
La mort est-elle une étrangère, une ennemie, une amante, une compagne ? Comment la ressentez-vous ?
Laissez venir les mots.Une voix, une sensation, une trace. Et si vous le souhaitez, partagez-les ici en commentaire.
Brave bête est une publication soutenue par les lecteurs. Pour recevoir de nouveaux posts et soutenir mon travail, envisagez de devenir un abonné gratuit ou payant.
Très beau texte. Tu es quelqu'un de bien. J'ai toujours en tête que l'amour est plus fort que la mort.
"Y a vraiment qu'l'amour qui vaille la peine
Prier pour qu'il reste, prier pour qu'il vienne
Pas celui qui dort au chaud dans la laine
Mais le vrai, celui qui porte la vie ou la mort dans nos rêves"