Ascendant Scorpion
Certains fuient l'ombre, d'autres l'étreignent. Faut-il "descendre en soi armé jusqu'aux dents"?
Un soir, je recevais un cher ami (Poisson) quand un autre ami (Verseau) est arrivé à l’improviste.
Nous parlions, buvions, riions.
Mais il y avait autre chose.
Un frémissement dans l’air, comme avant l’orage.
Les silences n’étaient pas tout à fait des silences.
Les regards traînaient un peu plus longtemps que nécessaire.
Une parole semblait prête à tomber, mais personne ne savait encore laquelle.
J’ai baissé la musique.
"Attendez les gars, faut que je vous pose une question."
(Si vous vous attendiez à un plan à trois, vous risquez d’être déçu.)
"C’est quoi votre ascendant ?"
Parce que dans cette pièce, à ce moment précis, ça sentait l’énergie du Scorpion à plein nez.
Ils ont sorti leur portable, calculé leur thème astral.
Je ne pensais pas avoir autant d’ascendant sur des esprits aussi matérialistes.
Tous les deux : Ascendant Scorpion.
Nous avons explosé de rire.
Un rire pas tout à fait net, mais vibrant, remuant, plein de mystère.
Comme une minuscule déchirure dans l’immense système solaire.
Chaque matin, depuis 35 ans, j’ai la chance de me réveiller.
Et la chance de me lever.
Je pourrais le faire mécaniquement, mais ce qui me soulève, ce qui m’électrise, c’est une seule chose.
Le mystère.
Qu’est-ce que ça veut dire ?
C’est un peu vague ?
En réalité, c’est très précis.
Le mystère, c’est le cinquième point cardinal.
(Un concept que j’ai nommé avant même de savoir qu’il existait.)
Celui qui relie l’infiniment petit et l’infiniment grand,
l’éternité et l’éphémère,
l’ombre d’une poussière et la force d’une étoile.
C’est l’espace entre les choses visibles,
celui où se joue ce qui nous traverse, ce qui nous échappe.
Le profond silence entre deux battements de cœur.
Le mystère m’habite, m’anime, me hante.
Celui d’être en vie.
Celui d’être sur Terre.
Celui d’être moi.
Car, au même titre que vous, c’est tombé sur moi d’être moi.
Et c’est assez dingue.
J’aurais pu être quelqu’un d’autre.
J’aurais pu être vous.
(Mes pauvres…)
La probabilité de faire advenir une cellule vivante est infinitésimale,
et pourtant nous en avons des milliards.
Vous comme moi.
Nous sommes donc, vous comme moi, des aberrations statistiques.
Un miracle.
Un pur mystère.
Et c’est ce mystère qui me fait vivre.
Même quand je mange, marche, bois, ris, me brosse les dents.
J’y pense.
Toujours, au moins en arrière-plan.
C’est sans doute pour ça que j’ai tant de mal (beaucoup) avec le small talk.
Et c’est bête, parce que si le mystère tel que je le ressens existe,
alors il est partout.
Même (surtout) dans la pluie et le beau temps.
Depuis quelques années, je renifle les Scorpions.
J’en ai moi-même beaucoup dans mon thème – Vénus, Ascendant, Pluton.
Je les hume comme d’autres flairent la poudre ou le sang.
Je sens en eux la perte, la mort, la renaissance.
Ça se perçoit à des kilomètres, ces choses-là.
Ça fait des regards pas tout à fait nets.
Mais profonds et bouleversants.
Pourquoi tout le monde devrait convoquer l’énergie du Scorpion
On aime croire qu’on peut lui échapper.
Qu’il appartient aux autres, aux plus tourmentés.
Mais le Scorpion est déjà là.
Il se glisse sous la peau,
dans vos silences,
vos obsessions,
ce que vous ne dites pas mais qui vous possède.
Contrairement à nous, il n’a pas peur de ce qui dérange,
de ce qui brûle,
de ce qui exige de s’arracher la peau pour renaître sous une autre.
Il vit dans les sous-sols de l’âme,
là où naissent les pulsions, les ruptures, les renaissances.
Il est la fin et le recommencement.
Parce que le Scorpion, c’est l’alchimie intérieure.
Transmuter le plomb en or.
Ou plus prosaïquement, la merde en oeuvre d’art.
Ceux qui fuient leur part scorpionique fuient leur propre puissance.
Pas leur pouvoir de petit chef,
ni leur aura de personne populaire,
non, leur puissance vitale et ancestrale.
Nous avons tous, quelque part,
un tunnel obscur, un sous-sol interdit,
une porte qu’on évite de pousser.
Si l'on suit la voie du Scorpion, on ouvre et on descend.
On s'écorche légèrement les paumes sur la pierre.
On écoute ce qui rampe sous le silence.
Parce que comme le disait Paul Valéry : “il faut plonger en soi, armé jusqu’aux dents.”
Et le Scorpion ne plonge jamais à moitié.
Et quand on remonte, impossible de dire qui du monde ou de nous s'est métamorphosé.
Et vous ?
Quand vous plongez en vous, de quoi vous armez-vous ?
Des palmes et un tuba ? Ou un objet contondant ?
Et quel est votre ascendant ?
Je suis fascinée par la manière dont Clarisse Gorokhoff manie l’écriture, comme une lame sensible qui tranche dans l’épaisseur du réel pour en extraire la matière la plus vibrante. Dans ce texte, ce qui me frappe, c’est sa force d’écriture, cette capacité à capturer l’invisible : ce frémissement dans l’air, ce suspens émotionnel qui précède un basculement. Elle a ce troisième œil des sens et des sentiments lents, capable de déceler les nuances insaisissables d’une atmosphère, de révéler ces silences qui n’en sont pas vraiment, ces rires qui cachent un vertige.
Et puis, il y a cette rage de vivre que je ressens à travers ses mots, une énergie brute et électrique qui traverse la scène. J’aime cette urgence à questionner, à sonder, à donner du sens aux interactions humaines, même les plus anodines. Son écriture m’arrache à la triste réalité de la vie pour m’entraîner dans des plans bien plus intéressants et bien plus profonds. Merci et Bravo tout simplement..
Quel plaisir de lecture ! ce texte est plein d'humour, de spiritualité, d'ésotérisme... il y a tout le plaisir que vous prenez à jouer avec les mots et les idées... la notion animal de ressentir les choses. l'idée des hasards qui font notre vie. et le mystère, ce mystère qui nous entoure, nous entraine et nous questionne. c 'est jubilatoire.